Une Autre Histoire

OUVERTURE - RÊVES ET PORTRAITS DE GAÏA

 

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Le voyage d'exploration ne consiste pas
à rechercher des terres nouvelles,
mais à voir avec un regard neuf.
Marcel Proust.

Blue Marble

Sur la couverture d’Une Autre Histoire, vous avez certainement reconnu Blue Marble, la célèbre photo de la Terre. Celle-ci fut prise le 7 décembre 1972 par les astronautes de l’équipage d’Apollo 17 à 45 000 km de la Terre pendant ce qui fut le dernier voyage vers la Lune. C’est la première photo de la Terre entièrement éclairée par le Soleil et prise dans son intégralité. Un moment unique dans l’histoire de l’humanité : la première fois où l’homme découvrait le visage de Gaïa. C’est d’ailleurs l’un des très rares portraits complets de notre planète.

Ce cliché, l’un des plus reproduits de l’histoire de l’humanité, a favorisé l’émergence d’un début de conscience planétaire à un moment où justement les problèmes commençaient à devenir globaux. L’essor de l’écologie dans de nombreux pays du monde mais aussi à l’échelle internationale doit beaucoup à cette photo et donc à la conquête spatiale.

Pourtant il ne s’agit pas de la même photo. Regardez bien l’originale Blue Marble représentée dans l’image ci-dessous, à gauche. Elle nous montre l’Afrique, la péninsule Arabique et Madagascar. Regardez maintenant attentivement celle de droite qui orne la couverture d’Une Autre Histoire. Cette photo nous montre l’océan Pacifique et l’Amérique (de l’Alaska à la Patagonie). Comment est-ce possible ? De quand date cette image ? Qui l’a prise ? Accrochez-vous bien à votre fauteuil.

 
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Blue Marble et sa « jumelle » © NASA

Cette photo ne date de 1972 mais du 23 octobre 2015. Elle montre en particulier l’ouragan géant Patricia en train de se diriger vers la côte Ouest du Mexique, un ouragan monstrueux formé dans le chaudron Pacifique dont la force s’est heureusement dissipée.

Ce cliché n’a pas été pris par un satellite de surveillance. Ils n’offrent pas une telle vue globale. Il est l’œuvre du Deep Space Climate Laboratory (DSCOVR) de la NASA, un satellite situé à …un million et demi de kilomètres de la Terre. Quatre fois la distance Terre-Lune.

Le rêve d’Al Gore et la conscience planétaire

La mission DSCOVR, dont les médias ont pour l’instant trop peu parlé, est pour moi sans doute la plus importante de l’histoire de la conquête spatiale. Elle est le fruit du rêve d’un seul homme et elle a peut-être le pouvoir de changer le monde.

Elle a été lancée le 11 février 2015 par la firme privée SpaceX du visionnaire Elon Musk dans le cadre d’un contrat pour la NASA, le NOAA (Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique) et l’US AirForce. Le satellite se situe en un endroit très particulier de l’espace : le ploint Lagrange L1. C’est l’un des cinq points découverts par le mathématicien Joseph-Louis Lagrange en 1722 où les forces de gravitation de la Terre et du Soleil se compensent. Il n’est donc pas coûteux en carburant d’y maintenir une sonde.

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Le point de Lagrange L1 est très spécial car c’est celui qui se trouve sur l’axe Terre-Soleil. C’est surtout le plus bel endroit de l’univers pour contempler la Terre car depuis L1 le visage de Gaïa, notre Terre-mère, est toujours pleinement éclairé. Le plus bel endroit pour la regarder nous sourire ou souffrir.

Qui eût l’idée folle d’envoyer une mission en L1 ? Ce n’est pas Elon Musk mais l’ancien vice-président américain Al Gore. Comme beaucoup de femmes et d’hommes de sa génération, Al Gore avait été marqué par Blue Marble mais regrettait que son pouvoir se soit émoussé avec les années. Après un rêve en février 1998, Al Gore eut une vision. De retour deux mois plus tôt de Kyoto où il avait pesé pour que les Etats-Unis signent le désormais fameux protocole, il se dit que si un satellite était capable de visualiser la Terre toujours éclairée et d'en retransmettre l'image aux humains via Internet, ceux-ci deviendraient plus conscients de sa fragilité. En la contemplant, ils pourraient développer leur empathie avec Gaïa. En voyant en direct les effets du réchauffement climatique – comme avec cette photo de l’ouragan Patricia Mexique – Al Gore espérait que les humains aient envie de s’engager pour la protéger et de vivre en harmonie avec elle.

Or, le seul point depuis lequel de telles images pouvaient être obtenues était le très lointain Lagrange L1. Al Gore lança alors le défi à la NASA d’envoyer un satellite là-bas. C'est ainsi que quelques mois plus tard naquit la mission Triana (Rodrigo de Triana était la vigie de l'équipage de Christophe Colomb qui découvrit le Nouveau Monde) qui avait aussi d’autres objectifs scientifiques.

Le satellite Triana fut donc construit et devait symboliquement être lancé avant le début du troisième millénaire (c'est-à-dire avant la fin de l'année 2000). Mais les Républicains, qui avaient regagné le Congrès en 1998, parvinrent en mai 1999 à couper le budget du « rêve d’Al Gore » aussi appelé « Gore’s screen saver » (l’économiseur d’écran d’Al Gore), lui faisant en partie payer ainsi son engagement pour le protocole de Kyoto qu’ils ne ratifièrent jamais.

Le pouvoir des rêves

À l'époque j'étais chercheur en mathématiques aux États-Unis et j'avais envisagé de changer de voie pour proposer mes services à la NASA et m'occuper de la communication autour de la mission Triana. Le cynisme des Républicains avait brisé ce rêve qui était un peu devenu aussi le mien. Cette mésaventure et d’autres recherches sur ce que l’on appelle dorénavant l’overview effect m'avaient néanmoins inspiré l'idée de Siècle bleu. Ce projet vit le jour pour la première fois le 22 avril 2000 pour les 30 ans du Jour de la Terre sous la forme d’une série de sept textes intitulés Le Siècle bleu  que vous pouvez lire sur mon site. Le sixième finissait par : « Peut-être qu’un jour Triana partira quand même vers L1 et verra Gaïa sourire à nouveau ».

Pendant une décennie, je ne parvins pas à admettre que cette mission ne revive pas. Ultime forme de résistance, dans l’épilogue d’Ombres et Lumières paru en 2012,j’imaginais que finalement Triana gagnait L1 et nous offrait ces fameux portraits de Gaïa.

Preuve que les rêves sont plus forts que tout (le mien renforça-t-il celui d’Al Gore ?) et que l’improbable est toujours possible, mi 2012, j’appris par une connaissance que le satellite de 1999 avait été stocké par la NASA et que le projet avait presque secrètement repris lorsque l’administration Obama accéda au pouvoir. De façon à ne pas éveiller la curiosité, son nom et son objectif principal furent changés : mesurer l'activité solaire et prévenir la Terre en cas d’éruptions solaires (capables de détruire via les vents solaires nos équipements informatiques en orbite et au sol).

Sous le choc, je vérifiais et une caméra haute définition était bien prévue d’embarquer pour pointer vers la Terre. Comme le Congrès étaient à nouveau passé sous contrôle des Républicains, je retins mon souffle pendant plus de deux ans jusqu’au lancement en février 2015. Et là, le miracle s’opéra. Depuis cet été, DSCOVR nous offre une dizaine de nouveaux portraits de Gaïa chaque jour.

Certains argueront qu’il s’agit d’un projet beaucoup trop onéreux (340 millions de dollars) voire inutile, mais pour réussir la nécessaire transition, l’humanité a autant besoin de changer radicalement son comportement que de ressentir et d’aimer notre planète, via cette dimension planétaire et cosmique à laquelle nous avons eu la chance d'accéder. DSCOVR nous sera d’une aide précieuse. Triana, la vigie vers notre Nouveau Monde.

L’avenir nous dira l’impact de ces clichés, en tout cas vous découvrirez l’un d’entre eux en exergue de chacun des chapitres de cet essai. N'hésitez pas à aller faire un tour chaque jour sur le site de DSCOVR pour voir comment va Gaïa (bientôt quelqu'un inventera une "app" pour le faire automatiquement, sinon il faudra la développer via un projet de la Pépinière Siècle bleu !), pour apprendre à connaître son visage changeant et à l'aimer.

Le rêve d’un homme peut changer le monde. Il ne faut jamais abandonner ni désespérer.

Vous voilà maintenant prêts pour aborder Une Autre Histoire.

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