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Chicago, Illinois, États-Unis.

 – Oui, il faut faire quelque chose, répondit João. Cette conférence m’a carrément déprimé. J’ai l’impression que tout se dégrade dans la nature et que les liens qui unissent les humains se défont. L’humanité est engagée dans une course folle et ne sait plus où elle va ni pourquoi elle y va. Face à ça, personne n’a vraiment les leviers ou le courage de se dresser pour inverser la tendance. On vit dans le déni, c’est dramatique.
 – Effectivement, acquiesça Abel.
 – Le nouveau président américain changera peut-être les choses, ajouta João. Tu penses quoi de lui, au fait ?
 – Il ne pourra pas être pire que son prédécesseur, ironisa Abel. Je trouve Carlson plutôt sympathique, mais il pourrait être victime de son ambition.
 – Pour la planète, j’espère en tout cas qu’il sera meilleur.
 – Avec la crise économique, elle passera malheureusement encore au second plan. Jamais il ne pourra insuffler un changement de paradigme. Il faudra compter sur d’autres pour s’en sortir.
 – D’autres comme qui ? Les ONG ? le questionna João en avalant une autre gorgée de tequila.
 – Oui, les ONG ou alors les mouvements activistes écologistes.
 Abel ne voulait pas révéler son secret directement à son ami, il préférait l’aiguiller vers celui-ci. João ne tarda pas à réagir.
 – Les mouvements écologistes ? Même WWF, Greenpeace ou Sea Shepherd sont démunies face aux rouleaux compresseurs qu’elles ont en face d’elles !
 Les yeux émeraude d’Abel s’éclairèrent. Il approcha son visage de celui de son ami.
 – Oui, pour la plupart, ces organisations sont dépassées par les évènements. Elles datent de la fin des années soixante, l’époque des grandes utopies. Elles étaient dimensionnées pour la crise écologique et humaine naissante de l’époque…
 – Et depuis les adversaires et les menaces ont changé, complèta João. Les moyens pour lutter doivent évoluer aussi !
 Abel attira l’attention sur leurs verres. Ils constatèrent, amusés, qu’ils étaient à nouveau vides. Les quesadillas s’étaient également évanouies. Ils recommandèrent des tequilas. La serveuse avait dû terminer son office car un garçon l’avait remplacée, mais les deux amis, absorbés par leur discussion, ne s’en aperçurent même pas.
 – C’est quand même fou, reprit Abel. On a l’impression que depuis ces années-là, aucune nouvelle utopie n’a émergé, que l’humanité s’est essoufflée, a renoncé.
 – Le ras-le-bol et la volonté de changer sont pourtant là, partout. Il manque un catalyseur, un détonateur. Si quelques visionnaires montaient une organisation activiste radicalement nouvelle, beaucoup de monde les suivrait. Radicalement nouvelle et clandestine.
 – Clandestine… Pourquoi ? feignit Abel.
 Il voyait son ami avancer exactement dans la direction souhaitée. João leva les yeux vers le plafond puis se lança.
 – Parce qu’en face, au-delà de l’inertie collective qui mène l’humanité dans le mur, il y a aussi un petit nombre d’humains corrompus et cupides qui tiennent l’économie réelle et clandestine. Ce sont eux qui nous conduisent dans les abîmes. Les lois pour les punir existent, mais dans les faits elles servent plus à les protéger. Pour lutter à armes égales, il faudrait agir dans la clandestinité.
 João restituait les mots qu’Abel lui avait glissés par petites touches imperceptibles depuis des années. Mais il était tout de même surpris du résultat. Il décida de pousser un autre pion.
 – Si cette organisation ne devait que punir, elle échouerait. D’autres ont déjà essayé et cela n’a rien donné. Pour vaincre, elle devrait instaurer une nouvelle façon de penser, à travers une vision positive du monde. Seule une telle vision susciterait l’espoir et emporterait l’adhésion du plus grand nombre. Elle devrait initier un mouvement de réenchantement du monde, dans un second temps tout du moins.
 João n’avait pas pensé à ce point qui lui sembla soudain évident. Abel marqua un silence, puis il fixa son ami.
 – As-tu déjà songé à t’engager dans une organisation de militants écologistes ?
 João fut surpris par cette question, si directe, presque violente.
 – J’y ai déjà pensé, admit-il, troublé. Mais je n’ai jamais sauté le pas. Aucune ne me satisfaisait vraiment.
 – Tu as donc été en contact avec certaines d’entre elles ? l’interrogea Abel avec encore plus d’emphase.
 – Non, non, jamais. C’était juste une idée. Pourquoi me demandes-tu ça ?
 Après avoir marqué volontairement l’esprit de son interlocuteur, Abel fit légèrement redescendre la pression. Cet ascendant psychologique lui serait utile pour la suite.
 – Non, c’est juste que si l’organisation idéale dont tu parles existait vraiment, elle ne te recruterait jamais. Elle n’apprécierait certainement pas que tu aies déjà eu des liens avec des mouvements connus.
 – Je te l’ai dit, je n’ai jamais eu de liens avec eux. Et de toute façon, cette organisation n’existe pas.
 João venait de franchir un nouveau cap. Il était prêt.
 – En tout cas, ça ne va pas nous empêcher de continuer à imaginer son fonctionnement ! s’exclama Abel en riant.

 
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