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McLean, Virginie, États-Unis.

 – Si ça peut vous rassurer, indiqua Fox, il avait fallu seulement huit ans pour relever le défi lancé par Kennedy. Et Apollo 11, c’était quand même en 1969. Faire la même chose en cinq ans devrait être dans nos cordes. Une idée était venue à l’esprit de Carlson. Elle lui paraissait tellement simple qu’il se doutait bien que quelque chose devait clocher.
 – Et pourquoi ne ferait-on pas tout simplement appel à nos vieilles carlingues du programme Apollo ?
 Carlson jeta un regard interrogateur autour de lui pour susciter la réaction de ses interlocuteurs. Il vit les yeux de Prescott pétiller. Le conseiller de Fox s’attendait à cette proposition.
 – Votre idée n’est pas mauvaise, intervint celui-ci. Mais de prime abord seulement, car la réalité est plus complexe. La dernière mission lunaire, Apollo 17, remonte à 1972. Depuis, les ressources de la NASA ont été affectées au développement de la navette spatiale et à la construction de la Station spatiale internationale. L’infrastructure technique et industrielle qui servait aux missions Apollo n’a pas été maintenue en activité. Impossible aujourd’hui, par exemple, de construire un lanceur Saturn V, maillon indispensable à l’envoi de lourdes capsules vers la Lune.
 Saturn V était un monstre de cent dix mètres de haut, capable d’emporter 120 tonnes de charge utile en orbite basse contre seulement 20 pour la navette américaine. Depuis, aucune fusée n’avait jamais égalé ses performances, à part le nouveau lanceur en cours de développement.
 – Mais, plus grave encore, continua Prescott, tous les vétérans du programme Apollo sont partis à la retraite. Tout est donc à réinventer. C’est ce à quoi s’attache en ce moment le programme Constellation de la NASA. Les retraités d’Apollo, qui ne sont pas morts, prêtent d’ailleurs main-forte aux ingénieurs de la NASA et à ses sous-traitants, dont CorFox. Et croyez-moi, il y a du pain sur la planche. Mais pas d’argent !
 Constellation, vaste programme d’exploration spatiale, avait été lancé par son prédécesseur. Il visait la Lune dans un premier temps, puis Mars et enfin le reste du système solaire.
 – C’est ce programme que vous allez devoir mener à terme, continua Prescott. Comme vous aujourd’hui, monsieur le Gouverneur, nous avions informé très tôt l’ancien président de la menace chinoise. Il avait pris sur lui et avait lancé Constellation, contre vents et marées, juste après la destruction dramatique de la navette Columbia en 2003.
 Carlson soupira lourdement. Les « monsieur le Gouverneur » et les leçons de Prescott commençaient à l’agacer.  Il n’était pas son larbin.
 – Malgré ses qualités, reprit Prescott, Constellation piétine. Votre prédécesseur n’a pas réussi à convaincre le Congrès d’octroyer les budgets nécessaires pour que le programme avance réellement. Il s’est également montré incapable de trouver les bons arguments pour séduire le public. L’intelligence n’était pas ce qui le caractérisait. Nous comptons sur vous pour remédier à cette situation.
 Les dents de Carlson grincèrent. Tout juste à l’aube de son mandat, il refusait de croire que son grand dessein puisse être de poursuivre une tâche commencée par l’ancien locataire de la Maison Blanche. Il aurait déjà suffisamment à faire pour réparer toutes les autres erreurs que cet imbécile avait commises. De plus, il savait qu’il serait extrêmement difficile de convaincre le public de faire de telles dépenses dans la période de crise actuelle. Il devait donc trouver une issue. Il fit un rapide calcul mental.
 – Si les Chinois arrivent dans cinq ans, ce sera quand même plus de quatre décennies après nous ! Il n’y a pas de quoi avoir les chevilles qui enflent ! Tout ça n’est qu’une question de communication. Nous avons aussi l’option de simplement refuser d’entrer dans cette course stupide.
 Le futur président jouait à l’imbécile qui faisait mine de ne pas comprendre, mais ses interlocuteurs n’étaient pas dupes. Prescott regarda de nouveau vers Fox qui lui donna le feu vert pour poursuivre.
 – Nous sommes malheureusement persuadés que vous n’aurez pas d’autre choix que de vous lancer dans cette course. Votre art de communiquer, que nous admirons tous, vous sera très précieux pour...
 – Et pourquoi donc me lancerais-je dans cette course ? l’interrompit Carlson écarlate. C’est vous qui allez m’y contraindre ? C’est ça ? Allez vous faire foutre, Prescott !

 
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